L'ENFANT QUI VIENT DU DESERT (3)

Publié le par M'HAMMED BAHAOUBIRA

Partie I

Partie II

L'ENFENT QUI VIEN DU DESERT (suite.../...)
 M'HAMMED BAHAOUBIRA

      Haddou, son camarade de classe, est fils de Caïd. Il vient d’une annexe dont la localité est distante d’une vingtaine de kilomètres, chef lieu du commandement de son père, et vit à l’internat de l’école. Il a une très belle bicyclette pour adulte, une ‘’Pneu ballon’’ toute neuve, c’est un luxueux luxe, si l’expression est permise. Elle est trop grande pour lui mais il s’y accomode. C’est le rêve de tout enfant de son âge. Il passe tout son temps à pédaler, à se promener, à se griser de vitesse. Cela compense, peut être, pour lui l’ivresse des pirouettes dont est capable  le chat ? Avoir une bicyclette n’est pas à la portée de n’importe qui, c’est un signe de richesse, et bien sûr, il n’a pas le temps de penser à autre chose. Il a tout ce qu’il désire. Il ne rêve pas. L’argent lui permet d’atteindre ce que son corps est  incapable de réaliser, la griserie de la vitesse par exemple. Il n’a pas le temps de s’ennuyer non plus, pense Hmmidi. Il va en colonies de vacances à la mer chaque été moyennant cinq cents francs. Pour Hmmidi, il n’en est pas question, non seulement cela coûte trop cher pour la maigre solde de son père  qui est de sept mille cinq cents francs par mois. Son père aurait consenti facilement au sacrifice car il ne peut rien lui refuser, mais aussi et surtout à cause du veto de sa mère. Elle répond toujours à la demande de son fils : «  Nous n’allons pas acheter la mort avec cent douros ». (Un douro ou un rial vaut cinq francs. Un kilogramme de viande coûtait à l’époque deux cents francs, quarante douros).

 

-         Mais maman, est ce que je vais mourir si je vais en colonies ? Objecte Hmmidi.

 

-         Oui, tu iras à la mer, elle va te happer et t’engloutir !  Dit-elle parce qu’elle n’a jamais vu la mer et ne sait pas à quoi elle ressemble. Pour elle, c’est un monstre dangereux.

 

-         Mais maman, est ce que tous les enfants qui vont en colonies meurent-ils tous ? Se lamente Hmmidi excédé.

 

-         Non ! mais toi si.

 

-         Pourquoi spécialement moi ? S’écrit Hmmidi révolté.

 

-         Parce que nous n’avons que toi. Nous ne voulons pas courir le risque de te perdre. Les autres, si leurs parents leur permettent d’y aller, c’est parce qu’ils ont beaucoup d’enfants, et s’ils en perdent un, les autres le remplaceraient. Il faut que tu saches que le borgne ne dort  jamais dans de la paille. Il risquerait de perdre l’autre œil. Déclare-t-elle intransigeante. Autrement dit, il est inutile d’insister.

 

Et c’est ainsi qu’il n’est jamais allé en colonies de vacances comme son camarade Haddou qui obtient tout ce qu’il désire. Une autre question vient à l’esprit de Hmmidi et s’impose : Pourquoi son père lui, n’est-il pas Caïd lui aussi ? Que faut-il faire pour le devenir ? Le Caïd, ne serait-il pas d’une nature différente de celle du commun des mortels ? Se demande-t-il. Il ne le croit pas, parce qu’il a déjà entendu dire qu’un certain Amar a été caïd, et paraît-il, il a été destitué et même emprisonné. Alors pourquoi son père lui n’est-il pas Caïd ? Pourquoi n’est-il qu’un simple mokhazni qui gagne une solde dérisoire ? Cela le fait penser au jour où on  lui avait dit qu’un Caïd gagne quarante mille rials par mois (deux cents mille francs).

 

« Quarante mille rials ??? » Dit-il. Il en a le souffle coupé. C’est une somme fabuleuse, phénoménale, légendaire, astronomique pour l’époque, qui n’existe qu’en paroles pour la totalité de la population de la région, qui ne l’a jamais vue et ne verra jamais. Quant à la posséder, cela relève de l’inimaginable. Il est tout de même persuadé qu’on a un peu exagéré, mais cela ne doit pas être très loin de la réalité, vu le faste dans lequel les caïds vivent et la richesse de leur patrimoine. Mais c’est quand même énorme, c’est la solde de trente mokhaznis !

 

   Pourtant, avec sa solde aussi dérisoire soit-elle, le mokhazni  se nourrit et s’habille lui, sa famille immédiate et lointaine, économise aussi pour s’acquérir des biens immobiliers afin de se constituer un patrimoine pour se protéger des aléas de l’avenir. Elle lui permet aussi de passer de fastes vacances, toutes proportions gardées bien entendu, dans son ksar et donner l’impression aux gens de sa tribu d’avoir beaucoup d’argent. Pendant ses permissions, les gens doivent

 

entendre les pièces de monnaie tinter dans sa poche quand il passe à leur proximité. Etre mokhazni, c’est déjà un degré respectable de l’échelle des classes de la société du sud de l’Atlas, car il est déjà l’autorité. Ne représente-t-il pas le ‘’roumi’’ qui commande tout ?  Alors être Caïd, c’est le summum, c’est sublime, merveilleux, fantastique, c’est… une personne extraordinaire, supérieure. Une personne qui marche ‘’en largeur’’, parce qu’il est le seul bourgeois de son commandement ! Que fait-il de tout cet argent ? A-t-il besoin de toute cette somme pour vivre ?  Certes, cela lui permet d’acquérir beaucoup de champs, beaucoup de vergers. Il peut se faire construire un petit ksar (un château) à l’écart du ‘’monde ordinaire’’, au sommet d’une colline, par exemple, d’où il prédomine les ‘’autres’’.  Dans son château il y a une étable garnie de moutons, de chèvres et de vaches. Il peut se permettre également d’organiser de temps en temps des festins pour les notables de son commandement et ses chefs hiérarchiques, et cela demande beaucoup de moyens. Mais c’est quand même beaucoup. Il a même le téléphone chez lui. Par contre, il n’a ni bureau ni voiture. Il est à se demander quel travail fait-il donc pour mériter tant d’argent et avoir tant d’importance ?  C’est parti ! Voilà une autre question que Hmmidi n’a pas pu éviter et elle se loge avec force dans sa petite tête. Il est loin de soupçonner  l’existence de quelque chose appelée ‘’politique’’. Dans son esprit et celui de tout son entourage, le mot ‘’politique’’  (Lboulitique)  a un sens péjoratif. Cela veut dire : Tergiversations, malices, mensonges, hypocrisie etc.… Il ignore le vrai sens du terme. Donc le Caïd fait quelque chose de très important, quelque chose que tous ceux qui ne sont pas Caïd ne peuvent pas comprendre

 à suivre .../...

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D
happy easter!!!
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